Impossible de ne pas le prévoir : l’entreprise telle qu’on la connait aujourd’hui va se métamorphoser. De lieu où l’ouvrier venait apporter son énergie pour produire des biens et services, l’entreprise va devenir, grâce aux réseaux, un « machin » , toujours producteur de valeur, mais dispersée, « éparpillé par petits bouts, façon puzzle »…
Le terme est entré avec fulgurance dans le langage courant : nous sommes à l’ère de l’uberisation de notre société. Le terme concentre l’idée que l’individu peut ne plus être simplement force productive mise au service d’une entreprise mais devient producteur d’un service à part entière, service qui peut être cédé à une structure qui va la commercialiser. Un service micro qui va s’insérer dans un business macro, grâce évidemment à la puissance des réseaux. En creusant un peu, la figure est intéressante : on peut observer et déduire que plus une entreprise est connectée, c’est à dire impliqué dans le réseau, plus elle est dispersée. De mono-cellulaire sédentaire et statique, elle devient protéiforme et mobile. Poussé à son paroxysme, pour les purs players de l’internet, il y a même totale déconnexion entre la composition de ses assets, – c’est-à-dire ses moyens de production détenus – et sa performance globale. Avant, on appréciait la puissance d’un groupe au nombre d’usines qu’il détenait. Aujourd’hui on sait que le premier pourvoyeur de logements au monde ne dispose d’aucun bien (AirbnB), le premier loueur de voitures avec chauffeur ne détient aucun véhicule (Uber) et que les premiers supports d’informations (Facebook ou Twitter) n’emploient aucun journaliste. Sans oublier l’un des premiers commerces de détails au monde (Amazon) qui ne dispose d’aucun magasin physique. Quand on se rappelle la bataille de chiffonniers que se sont menés récemment les acheteurs potentiels de Darty en France, gagné haut la main par la Fnac, pour un peu plus d’un milliard d’Euros et qu’on rapporte ça à la capitalisation boursière actuelle d’Amazon, qui dépasse les 330 milliards de dollars pour 1000 fois moins de magasins, on se dit qu’on est dans un drôle de monde.
Le vertige procuré par ces perspectives est sans limite. Enfants naturels du peer to peer, on voit se déployer les technologies dites de blockchain permettant de mutualiser et de démultiplier les énergies et la puissance de production. Comme avec le cloud, non seulement, je ne détiens plus mes moyens de traitement, mais en plus je ne sais pas où ils sont, et je m’en fous !
Autre manifestation de l’éclatement de la structure « entreprise » : le Mechanical Turk d’Amazon ou l’offre de FouleFactory en France, permettent aux entreprises d’employer des petites mains invisibles et à coût négligeable, pour réaliser des opérations insignifiantes pour elles mais constituantes pour la structure qui les commande. Et relevez que ça ne se limitera pas demain aux productions de datas : voyez l’engouement autour des imprimantes 3D. Un jour qui sait, je pourrai produire dans mon salon des pièces détachées pour AIRBUS pourquoi pas !
La dernière curiosité de ce mouvement, que certains pourraient considérer comme une régression, est le passage naturel d’une rémunération au temps passé à une rémunération à la tâche, pourtant bannie au 19ème après de hautes luttes sociales de nos ancêtres. Cette évolution n’est pas neuve, puisqu’elle hante la problématique du télétravail depuis que ce concept existe, mais elle se banalise. Et même si le législateur veille, allez demander à un chauffeur Uber de rester dans les clous côté horaires : parler de 35 heures ou d’ouverture le dimanche dans un monde qui tourne déjà en 24/7, c’est sacrément anachronique…