Comme un serpent de mer, la fin de la « neutralité du net » resurgi régulièrement, avec son lot de pro- et d’anti-. Sur le plan pratique, cela pourrait pourtant donner une opportunité à l’Europe de reprendre la main sur l’internet, qui reste sous la suprématie américaine des GAFA.
Quand le web est arrivé sur la place publique, il était considéré, figure provocante, comme l’enfant naturel du Pentagone et de la Génération hippie. Il représentait en effet la parfaite union entre la rigueur et la solidité d’un procédé militaire (le protocole TCP/IP, essence de l’Internet) et une ambition généreuse et ouverte du partage, paradigme de la génération hippie. De ce mariage est maintenant établie comme une norme que tous les flux qui transitent sur le réseau, soient non seulement amenés à destination avec certitude mais aussi et surtout sans aucune discrimination, qu’elle soit d’ordre éditorial comme financier. Un propos graveleux sur un forum sera acheminé au même titre qu’une poésie originale, une séquence vidéo porno pèse autant qu’un ordre d’exécution d’une commande, un tweet hystérique d’un Trump suit le même chemin qu’une parole philosophique du Dalaï Lama. C’est ce que l’on désigne par neutralité du Net. Vu sous cet angle, il est facile de comprendre qu’il y a un peut-être un hic.
Une guerre d’opérateurs
Les premiers à soulever l’iniquité implicite de cette neutralité ont été évidemment les opérateurs télécoms (« Telco »). Acteurs majeurs de l’accès à l’internet, ils sont sans cesse obligés de faire croitre la puissance de leur infrastructure sur leurs propres deniers pour permettre à leurs clients de consommer toujours plus confortablement, plus de de services. Services sur lesquels ils n’ont en pratique aucune rémunération supplémentaire. Bien qu’on puisse considérer qu’ils se paient sur le prix de l’abonnement d’accès facturés à leurs clients, il est aisé d’apprécier qu’ils n’aient pas un ROI proportionnel à ceux qu’ils voient traverser dans leur réseau.
Le graal du temps réel
La deuxième vague, plus actuelle, provient des acteurs des technologies d’objets connectés et notamment des voitures autonomes. Pour les comprendre, il faut revenir sur le principe de la commutation de paquet, modalité native de la communication IP. Sans entrer dans les explications techniques, retenons qu’elle interdit, par nature, purement et simplement des flux en « temps réel », pourtant nécessaires au déploiement opérationnel de leurs procédés. On imagine mal en effet une voiture autonome attendre un temps incertain la décision finale de freiner fournie par une IA interrogée via le réseau. Rappelons ainsi que le principe qui prévaut sur le protocole IP est un routage au fil de l’eau des paquets selon une loi élémentaire : le premier paquet qui arrive sur un routeur sera le premier à être transféré vers le chemin sensé l’amener à sa destination finale. Ce que souhaitent finalement ces opérateurs, ce sont des billets « coupe-file » qui permettraient à leurs paquets de passer devant les autres dans une file d’attente. Last but not least : cette possibilité était déjà prévue dans les normes IP…
Un potentiel business des flux
On peut le déduire, ces billets coupe-file, comme dans la visite d’un musée, imposerait un surcoût à celui qui veut en bénéficier. Les opposants à la fin de la neutralité voient dans cette possibilité, une antinomie avec l’esprit des géniteurs du web : le riche passerait devant le pauvre, le puissant écraserait le faible, etc. On peut aussi voir le sujet d’un autre point de vue : un opérateur réseau pourrait mettre à l’amende (en dégradant sa bande passante) un service qui surconsommerait. Certains diront que tout ça est peu réaliste au regard des puissances en jeu. C’est vrai. Mais mettre en place cette gestion des flux sur leur réseau, obligeraient les telco à les régenter plus finement. Elle pourrait leur offrir des sources de revenus supplémentaires pour leur business et sur le plan macro une base de taxation localisée – donc européenne. Imaginez simplement qu’un Facebook ou un Netflix (25% des flux internet en France à lui seul sur 2018, d’après l’ARCEP) paient de manière proportionnée aux Orange, SFR ou Free ce qu’ils génèrent comme trafic sur leurs réseaux.