L’annonce de Google de ne plus fournir Android à Huawei, suite de la décision récente de Donald Trump, remet en lumière sa position dominante sur le marché des smartphones. Une situation bien semblable à celle de Windows au tournant des années 2000.
Commençons par un petit état des lieux : Androïd occupe près de 86% des smartphone, l’iOS d’Apple, 13% d’après des chiffres d’IDC. Pour ceux qui s’en souviennent, ce sont les mêmes parts de marché qu’occupaient respectivement Windows et MacOS en 1999. A l’époque, cela avait valu à la firme de Bill Gates de multiples procès, pour abus de position dominante et concurrence déloyale, en Europe comme dans son propre pays. Il faut dire que Microsoft avait acquis en à peine deux décennies, grâce à son système d’exploitation Windows, une position hégémonique sur les micro-ordinateurs et l’informatique en général. Maître sur le système d’exploitation, dominant sur les outils bureautiques, et généreux fournisseur d’un navigateur depuis décrié : Internet Explorer. Pour mémoire, c’est Netscape, éditeur historique des premiers navigateurs (aujourd’hui Mozilla), qui avait lancé la bataille : en offrant gratuitement son navigateur, Microsoft lui coupait l’herbe sous le pied en l’empêchant de fait de vendre le sien… Tiens, tiens, encore une similitude avec l’actualité : Qwant, l’éditeur français d’un moteur de recherche concurrent à Google, reproche à ce dernier la fourniture gratuite du navigateur – Chrome – ET du moteur de recherche par défaut – Google – aux fabricants de smartphone Androïd. En fait, à défaut de dire « gratuite », il faudrait dire « non payante », puisque Google explique demander 40$ par licence pour modifier cet état par défaut, ce qui a de quoi dissuader les fabricants de s’ouvrir à d’autres outils…
Une jurisprudence discutable
Si l’on reste dans la référence, on aura retenu que Microsoft après des années de procès, a fini par être blanchi : l’internet, malgré la bulle de 2000, était une révolution en marche qui allait balayer une grande partie de ces sujets. Je me souviens d’une réflexion qui circulait chez les geeks de l’époque et qui disait : « l’avantage avec le web, c’est que personne ne sait que t’es sous Mac ». En pratique, la couche applicative du web, annihilait l’importance du système d’exploitation, Windows, MacOS, Linux, on s’en fichait, le navigateur jouant le rôle de frontal normalisateur.
Pour revenir à l’intention initial du propos – Huawei et Androïd – , ce qui indispose dans cette affaire, c’est que ça démontre l’extrême pouvoir qu’a acquis un seul opérateur privé – Google en l’occurrence – sur le devenir de son écosystème. Exactement ce qui était reproché il y a 20 ans à Microsoft. Pourtant, peu de bruits autour de cette affaire, ses sous-jacents et ses implications : quelques procès ici ou là, quelques millions de dollars réclamés par l’Inde, jusqu’à 4,5 milliards d’euros tout de même pour l’Europe, mais pas de quoi ébranler l’entreprise, comme si une jurisprudence Microsoft était établie. A quoi bon se lancer dans des procès sans fin quand la seule finalité serait un démantèlement pur et simple du fauteur et de son offre. Il faut se rappeler que l’une des solutions envisagées pour Windows en son temps par des élus américains était sa nationalisation pur et simple, devenant un standard fédéral et propriété de la nation américaine…Dans un pays libéral comme les Etats Unis, on imagine rapidement l’incongruité de cette solution. Ajoutez à cela un certain chauvinisme de ces mêmes élus qui finirent par reconnaître qu’il n’était pas bon d’embêter comme ça une entreprise américaine, on comprend l’extinction des poursuites. Quand on voit Donald Trump avoir récemment la même réaction à propos de Google, déplorant les attaques que la firme subit et plus largement les entreprises américaines de la tech, on sait qu’on n’est partis pour suivre le même chemin.
Les consommateurs au pouvoir
Les causes de cette situation ne sont pourtant pas nouvelles et la recette parfaitement connue des acteurs du secteur. On pourrait dire qu’elle fut inventée par Bill Gates en 1980, lorsqu’il refourgue à moindre frais, c’est-à-dire à marge faible, son système d’exploitation MS-DOS à IBM pour faire tourner son PC. Il avait compris qu’en prenant place sur les basses couches d’un ordinateur, il prendrait le pouvoir sur les couches hautes : les logiciels. Google n’a pas appliqué d’autres recettes avec Android. Avec grande générosité, il « donne » son système d’exploitation aux constructeurs de smartphone, qui sont trop contents de procurer à moindre frais de l’intelligence à leur électronique. Ici, c’est un peu comme si un dealer de cocaïne en cédait gratuitement à ses clients pour mieux les enfermer dans l’accoutumance. On le savait, on a laissé faire, on s’est laissé faire…
Si dans la décennie 2000, Microsoft avait finalement courbé le dos le temps que la tempête passe, à tel point qu’il s’est laissé distancer sur plusieurs sujets (échecs sur les réseaux sociaux avec Messenger, les moteurs de recherche avec Bing ou le navigateur avec IE..), on se demande ce qui va supplanter Google aujourd’hui. Sans compter qu’il a atteint un pouvoir jamais atteint par son modèle : celui des contenus, avec son moteur de recherche, et de la publicité associée. Alors, un autre géant ? En tout cas, il sera américain ou chinois car, malgré la tentative de résistance de certains, comme Qwant pour les moteurs de recherche, ou le projet OpenStreetMap pour la cartographie, on va regretter de ne pas avoir d’acteur européen de poids.