Robert Metcalf théorisa dans les années 80 sur le fait que plus il y a d’utilisateurs dans un réseau, plus celui-ci prend de la valeur. Il voulait parler de l’intérêt que pouvaient en tirer ses participants mais qu’en est-il aujourd’hui ?
La téléréalité rencontre la bourse
Kylie Jenner – je vais modestement admettre que je ne la connaissais pas avant de lire la nouvelle dans mon fil d’info – vient de faire perdre plus d’un milliard de dollars à Snapchat. Son crime ? un tweet où elle exprime une certaine lassitude dudit réseau. Et sans intelligence aucune de sa part, ni stratégie quelconque, en tout cas avérée… Car forte de 24,5 millions d’abonnés sur Twitter et 104 millions sur Instagram, le moindre des errements philosophiques de cette star de la télé-réalité américaine est observé, commenté et re-tweeté, le démultipliant comme un écho infini. Même notre Kerviel national, avait dû faire preuve d’ingéniosité avancée pour faire perdre à lui tout seul l’équivalent à son employeur de l’époque, la Société Générale.
Bon il faut admettre que, avec ce raccourci trompeur, incontournable figure de buzz médiatique, on vous fait passer des vessies pour des lanternes. Snapchat n’a pas perdu un milliard de dollar mais sa valorisation boursière s’est dégonflée de 1 milliard : c’est pas la même chose. Les analystes boursiers ont vu dans ce petit tweet, un signe pouvant déclencher ou accroitre la désaffection de Snapchat auprès de ses 187 millions d’utilisateurs quotidiens. Et donc faire baisser sa valeur… selon la loi quadratique de Metcalf.
On a d’ailleurs nous aussi notre expérience nationale de collusion ubuesque entre téléréalité et bourse. La star française Nabila s’est récemment fait rappeler à l’ordre par l’AMF car elle ventait, un peu à la légère, comme elle le ferait pour un champoing ou une crème de beauté, les mérites d’investir dans le Bitcoin. Mal lui en a pris, le cours de la plus populaire des crypto-monnaies s’est effondré en quelques jours.
Une loi peut en cacher une autre
Ce que ce Metcalf n’avait pas prédit, c’est cet autre phénomène engendré par la mise en réseau d’individus : la vitesse de propagation d’une information y devient exponentielle. Là, on peut s’amuser à faire appel à une autre équation, celle d’Einstein, la fameuse « e=mc2 ». Elle exprime la combinaison d’une masse et d’une vitesse – celle de la lumière dans sa théorie – pour produire une énergie ou un effet. On pourrait attribuer ici m à ce tweet, c2 au buzz engendré et E le milliard envolé en bourse. Bref, petits effets, grandes conséquences, ce que d’autres appellent l’effet papillon…
D’aucuns diront que ce phénomène dynamique est naturel : réunir des personnes en un même lieu fluidifie et accélère leurs interactions ; les grecs appelaient ça l’agora. Mais d’autres forces intensifient le mouvement. La nature du média électronique y concourt d’abord largement. Ensuite, n’est-il pas avéré qu’un Facebook, sous couvert de proposer des contenus intelligemment adaptés à ses usagers, pousse à la réaction et au partage. De véritables vagues de posts naissent et meurent ainsi tous les jours, comparable à celles qui secouent l’océan. Certaines atteignent même le niveau Tsunami (#metoo par exemple).
Cet océan de posts et commentaires semble rester enfermé dans ces réseaux sociaux, et qui plus est, ne sont fréquentés que par une partie de la population mondiale. Tout ça pourrait donc paraître sans effet sur le monde réel. Sauf si on vient à considérer que le tweet de Kylie Jenner n’était ni involontaire ni anodin : Facebook est notoirement fâché de ne pas avoir réussi à mettre la main sur Snap Inc., de là à imaginer qu’ils aient pus téléguider le tweet malheureux. Non, je refuse de lancer le buzz…