« Crédit social » en Chine, ou comment faire la loi en mode 2.0.

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En 2020, l’état chinois généralisera son système de crédit social, instrument de notation de la réputation des citoyens. Sur le plan philosophique, ce projet a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais d’un point de vue digital, il a le mérite de nous faire passer du mythe à la réalité: Big Brother existe.

Le mécanisme mis en place par l’état chinois prévoit d’attribuer une note de 350 à 950 points à chaque citoyen. Comme son appellation l’indique, celle-ci représente le crédit ou la confiance qu’on pourra accorder à un individu ; une note élevée supposant qu’on peut lui faire confiance, une faible note, qu’on doit s’en méfier. Pour la produire, l’administration chinoise s’appuie sur tous les moyens dont elle dispose pour évaluer chaque individu, et ils sont nombreux : bases de données publiques et privées, analyse des usages sur internet, surveillance vidéo, remontées individuelles, etc… Une mobilisation de ressources qui ferait voler en éclats notre RGPD.

Sans prendre la défense de l’état chinois, et de son régime reconnu totalitaire, il faut supposer qu’administrer une population de plus d’un milliard d’habitants est loin d’être simple. Surtout quand les niveaux de vie et d’éducation sont si variés. Pour rappel, les millionnaires se comptent en millions, les pauvres en centaines, les citadins sont aussi nombreux que les ruraux, les éduqués cohabitent avec les illettrés. Cela donne une société au corpus extrêmement hétérogène, à l’opposé d’un Danemark par exemple, dont on vante régulièrement l’instinct de communion et de partage. A l’inverse, pour tous ceux qui déjà visité la Chine, le constat est évident : l’individualisme semble de mise dans la population, se traduisant par de multiples comportements remarquables. On ne se s’excuse pas quand on vous bouscule en ville – à quoi bon, ça arrive tout le temps -, on vous passe devant dans une file d’attente si vous n’y faites pas attention, on retient un train en gare « parce que la grand-mère n’est pas encore arrivée », on ouvre la porte de l’avion, parce qu’on trouve qu’il fait trop chaud – heureusement après l’atterrissage…-. En voiture, on roule à gauche à 60 km/h sur l’autoroute parce qu’on l’a décidé, sans inquiétude particulière puisque les autres vont vous dépasser par la droite sans scrupules, voire en empruntant la bande d’arrêt d’urgence si nécessaire. Bref, autant de comportements individuels que l’on ne peut pas considérer délictueux mais qui illustrent la genèse du projet : noter la bonne conduite du citoyen, comme une micro-justice au quotidien.

Inquiétude et fascination

Cette mise en œuvre a tout d’effrayant, de notre point de vue d’européen, dans ce qu’elle porte atteinte à la vie privée de chacun. C’est largement discuté ici ou là, avec force analyse et pertinence. Mais son côté fascinant mérite d’être noté. Si l’on se fie à ce qui est rapporté, la fabrication de ce crédit social s’appuie sur un mix de procédés qui fait vibrer toute la planète du numérique : le big data, car il faut brasser de gros volumes de données issues de différentes sources, la reconnaissance vidéo de masse, car elle inclut la surveillance en temps réel des citoyens et la désormais incontournable Intelligence Artificielle, car il faut bien digérer tout ça. Aussi, ce déploiement est inévitablement observé à la loupe par tous les acteurs du digital : finit le temps du POC – proof of concept – pour toutes ces technologies, voici le temps de la mise en prod.

C’est d’ailleurs cet état qui réveille la grogne de ces mêmes acteurs face à notre RGPD. Même s’il n’a pas été très audible jusqu’à présent, le discours sur les freins aux avancées technologiques qu’induit le respect strict de ce règlement prend corps ici. Ce programme donnera inévitablement aux chinois, libres de contraintes sur ces notions de vie privée, et alors qu’ils les maîtrisent déjà bien, une avance supplémentaire sur ces technologies. C’est autant de retard qu’on paiera probablement demain regrettent déjà ces acteurs.

L’innovation est partout

Ce qui est aussi fascinant que rassurant, c’est la réaction d’autodéfense que peut déployer l’humain dans ces situations. On ne compte déjà plus les parades mises en œuvre pour contourner le système.

Tout le monde a vu récemment ces manifestants de Hong Kong détourner de simples pointeurs lasers, pour perturber leur reconnaissance fasciale par les caméras de vidéo-surveillance. Nul doute que des dispositifs spécifiques se retrouveront demain en vente libre dans le commerce.

Dans le domaine privé, aussi impliqué – de force – dans ce programme, on cite le cas de cette compagnie d’assurance santé qui impose à ses assurés un suivi via leur smartphone de leur activité physique. Votre note prend en compte le nombre de pas que vous faites dans la journée. Résultat : une balancelle pour smartphone, à poser sur son bureau, simulant la marche est en vente libre.

Dernier cas, probablement le plus symptomatique. Comme votre crédit social prend en compte vos amis sur les réseaux sociaux, nombre de personnes ayant des notes moyennes cherchent via des forums à se lier à d’autres, ayant des scores plus élevés, pour consolider leur propre note. Conséquence probable à venir  : voir apparaître un business de l’amitié. Et facile d’imaginer le procédé : une marketplace où chacun met en jeu sa propre réputation, sur le thème « combien es-tu prêt à me donner pour être mon ami ? ». Cela peut nous paraître risible voir irritant, mais quand votre faible note vous interdit de sortir de votre province ou de prendre le train, on se rappelle que la liberté a un prix.

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