Livraison ultra-rapide, vers le tout, tout de suite ?

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Flink, Gorillas, Cajoo… les services de livraison à domicile ultra-rapide se sont multipliés cette année, promettant vos courses en 15 voire 10 min. Les levées de fond accompagnant ces lancements ont de quoi interpeller : cela a tout d’un nouveau marché très prometteur. Est-ce réellement le cas ? ça se discute.

Imaginez-vous en train de préparer votre recette favorite et découvrir en plein action qu’il vous manque un ingrédient. Pas de panique, à porter de mobile, vous pouvez maintenant le commander et le recevoir en moins d’un quart d’heure, de quoi poursuivre tranquillement votre préparation. C’est sur ce scénario que se sont basées ces nouvelles startups spécialisées dans la livraison ultra-rapide de courses à domicile, ou sur des situations comparables : un apéro improvisé, un diner en panne de dessert ou une soirée en souffrance d’alcool, bref ces situations où on n’a pas le temps d’attendre et/ou la paresse de sortir faire ses courses. Considérés comme anecdotiques par certains, ces uses cases ont été jugés suffisamment consistants pour initier des investissements qui eux n’ont rien d’anecdotiques : 52 millions de dollars pour Flink, 240 pour son compatriote allemand Gorillas, 6 millions d’euros pour le petit français de la bande Cajoo. Alors est-ce la marque d’un nouveau marché pérenne ? comme une réponse évidente à l’accoutumance à l’instantané et aux délais cours dans laquelle a grandi toute une génération de millenials et autres digital natives avec l’internet ? rien n’est moins sûr car à y regarder de plus près, le concept n’a pas encore prouvé sa solidité, et ce pour de multiples raisons.

Une réponse conjoncturelle

On le sait, la naissance de ces startups s’est faite dans un contexte bien particulier : la pandémie COVID 19. Confinement et couvre-feu ont été ses deux ferments principaux. Ainsi, au même titre que les livraisons de repas à domicile ont explosé dans cette même période, faute de restaurants ouverts, la possibilité de faire ses courses en dehors des heures limites des couvre-feux déclarés ici ou là, devait être satisfaite. Et pour les magasins restés ouverts, masques obligatoires et jauges limitées, pouvaient refroidir certains et leur faire préférer l’achat en ligne, sans contact et donc safe. Mais lorsque toutes ces contraintes seront tombées – ce qui est en cours à l’heure où sont écrites ces lignes -, l’intérêt pourrait s’étioler naturellement. A contrario, à l’image du télétravail qui est passé de l’exception à un usage répandu, il est probable que ces pratiques se soient déjà installées chez certains consommateurs, en minorité pour le moment.

Le défi que doivent donc relever ces startups est de pérenniser ce nouveau mode de consommation. Pour ce faire, les levées de fonds auront largement leur utilité. Pour communiquer d’abord, as usual. La guerre publicitaire fait déjà rage entre les acteurs pour tenter de s’inscrire le premier dans l’esprit du consommateur. Pour se déployer ensuite, et vite mailler le territoire visé pour répondre à la promesse de rapidité. Car il n’y a pas de magie, pour faire vite, il faut des distances courtes, et pour faire court, il faut être partout. Aussi, comme on a vu naître des dark kitchen, cuisines de restaurant sans salles ni clients, destinées uniquement à livrer des repas via les plateformes, on parle maintenant de dark store, magasins sans vitrines ni client, de simples mini-entrepôts logistiques en fait. Le principe au cœur de ces startup est donc de déployer ces darkstore en nombre et au plus proche des clients potentiels. C’est une autre difficulté qui se présente alors. Il faut cibler des zones densément peuplées et au pouvoir d’achat suffisant pour surpayer des produits de première nécessité. Il est à ce titre très intéressant d’analyser les premières cartes de couverture de ces acteurs sur une ville comme Paris.

Pour ceux qui connaissent la ville, ces cartes recouvrent bien la cible : on voit qu’en creux, des zones entières ne sont pas couvertes soit car trop populaires (le nord Paris ou le 13ème arrondissement, foyers modestes et grands ensembles) soit parce que désertiques comme le 7ème arrondissement. Le paradoxe est que, le plus souvent, ces zones couvertes sont déjà bien achalandées en commerces locaux. A titre d’exemple, peut-être privilégié, dans mon quartier du sud 20ème, on ne compte pas moins de 5 supermarchés accessibles à pied, dont certains ouverts tard (23 heures pour le Carrefour Market). Et c’est sans compter, ces petites échoppes qui se sont multipliées, souvent tenues par des Pakistanais et qui offrent gamme de produits et horaires tardifs à même de satisfaire les attentes des consommateurs pressés et désynchronisés, cœur de cible de ces nouvelles plateformes. Il est vrai cependant qu’il faut descendre de chez soi, marcher jusqu’au commerce, parcourir les rayons et revenir les bras chargés, soit autant d’actions qu’on peut éliminer en quelques touches sur son mobile : c’est sur cette paresse que jouent ces nouveaux services.

Schizophrénie écologique

Nées dans une époque où l’écologie est devenue cardinale, il était inévitable que ces startups basent leurs pratiques et les accompagnent des discours à même de séduire la clientèle visée, le trentenaire urbain pour faire court. C’est une mise en avant des « produit frais et locaux » pour Frichti ou des livraisons à vélo électrique pour Cajoo et Flink. Mais à y regarder de plus près, cela occulte pas mal de caractères du modèle d’affaire, qui eux n’ont rien d’écologiques. La dispersion native des lieux de stockage, pour un même volume de produits conservés, est dispendieuse en énergie vs un grand entrepôt commun. La gestion de stock en flux tendu ensuite, indispensable aux petites surfaces déployées et bien évidemment aux produits frais, est à l’origine – on le sait depuis 40 ans – de la multiplication de transports polluants. Les emballages de livraisons sont souvent à usage unique, donc générateur de déchets. Et surtout, comme une question qui ne se pose plus dans ces business, on occulte très rapidement les impacts du sous-jacent numérique dans l’affaire. Intuitivement, Il apparaît plus écologique de descendre les escaliers pour aller acheter un kilo de tomates que de les commander via son smartphone.

Un avenir probable mais incertain

Si l’on se réfère aux performances de ces startups sur des territoires comme l’Allemagne, on ne peut nier qu’il y a un réel marché. Même si sur le plan de la distribution alimentaire la France n’est pas l’Allemagne et Paris n’est pas Berlin, il est fort probable que ce marché se développe donc dans notre pays. On connait déjà les prochaines étapes : demain, on ira chatouiller les 5minutes, supprimant circulation routière et montée en étages, avec les livraisons en drones chères à M. Besos. Et peut-être un jour, on ira encore plus vite, avec un truc qui nous faisait rêver gamin dans la série Star Trek : la téléportation, restera à choisir si je me téléporte au magasin ou si je fais téléporter mes tomates…

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